By Benjamin Barthe
30 December 2009
Le Monde

Dans les territoires occupés, la silhouette de Jamal Juma passait rarement inaperçue. Corpulent, le front dégarni et le sourire aux lèvres, ce quadragénaire, coordinateur de “Stop the wall”, la campagne de protestation contre la barrière de séparation israélienne, se bagarrait sur tous les fronts. Dans les oliveraies de Bilin ou de Nilin, deux villages qui manifestent chaque semaine contre cet ouvrage qui confisque près de 10 % des terres de Cisjordanie ; sur la place des Lions de Ramallah, haut lieu de rassemblement de la société civile palestinienne ; et dans les consulats européens de Jérusalem-Est qu’il rappelait à leurs obligations en matière de défense des droits de l’homme.

 

Mais, depuis le 15 décembre, le rayon d’action de Jamal Juma s’est considérablement rétréci. Le cerveau de la résistance non violente contre le “mur de l’apartheid” ne bataille plus que devant le tribunal militaire de la Moskobiya, un centre de détention à Jérusalem-Ouest.

Arrêté par la police, il a rejoint derrière les barreaux une dizaine d’autres activistes, engagés dans le même combat que lui, détenus le plus souvent sans la moindre charge et victimes, selon leurs défenseurs, d’une politique d’intimidation délibérée de la part des autorités israéliennes. “Israël cherche à briser ce mouvement qui marque des points dans l’opinion publique internationale, dit Magda Mughrabi, de l’association de défense des prisonniers Addameer. Il s’agit à la fois de dissuader les gens d’aller manifester et de saboter le travail de sensibilisation qu’ils mènent à l’étranger.”

Le 22 septembre, Mohamed Othman, 34 ans, collègue de Jamal Juma au sein de Stop the wall, revenait d’un séjour de ce type en Norvège. Il y avait rencontré la ministre des finances, Kristin Halvorsen, qui, quelques jours plus tôt, avait annoncé le retrait du fonds de pension national norvégien du capital d’Elbit, une firme d’armement israélienne. Les visites guidées de la barrière de séparation que Mohamed Othman avait organisées peu avant pour des diplomates norvégiens n’étaient pas étrangères à cette décision spectaculaire.

Mais au pont Allenby, point de passage entre la Jordanie et la Cisjordanie occupée, le jeune lobbyiste est interpellé par la police israélienne. Depuis cette date, il végète en prison sans que le procureur militaire ait prononcé la moindre inculpation. “Les autorités évoquent une vague rencontre à Amman avec un supposé membre du Hezbollah, dit son avocat Mahmoud Hassan. Tout cela ne vaut rien. C’est une façon de délégitimer la résistance non violente et de dissimuler le fait qu’il s’agit d’un emprisonnement politique.” Dans une tribune publiée sur le site d’information américain Huffington Post, Jamal Juma avait raconté comment Mohamed Othman avait été mis en garde, peu avant son interpellation, par un soldat à un check-point : “”Nous allons t’arrêter”, lui avait-il dit. “Mais c’est un peu difficile avec toi, car tu te contentes de parler”.”

Au mois de juin, un autre “parleur”, Mohamed Khattib, instigateur des manifestations de Bilin, avait été incarcéré pendant deux semaines. Il revenait alors d’un voyage à Montréal, où il avait appuyé une demande de poursuites judiciaires contre deux entreprises de BTP, enregistrées sur le sol canadien et impliquées dans la construction de colonies sur la terre de Bilin. A son procès, il était apparu que l’accusation de jet de pierres portée contre lui était factice, dans la mesure où il n’était pas présent le jour de la supposée infraction. Mohamed Srour, son homologue du village de Nilin, a reçu un traitement équivalent. Il a été arrêté pendant trois jours, fin juillet, de retour de Genève où il avait déposé devant la commission d’enquête sur la guerre de Gaza, dirigée par le juge sud-africain Richard Goldstone.

C’est au mois de décembre que le rythme des interpellations s’est accéléré. Cinq surviennent d’un seul coup à Naplouse, visant des militants associatifs. Le 10 de ce mois, peu avant Jamal Juma, c’est Abdallah Abu Rahma, autre pilier des cortèges de Bilin, qui est embarqué par l’armée israélienne. Parmi les charges retenues contre lui, outre le “jet de pierres” et le “jet de ballons remplis d’excréments de poulet” (sic), figure “la possession d’armes israéliennes usagées”.

Lesdites armes sont les reliques des grenades assourdissantes et lacrymogènes, tirées par les soldats contre les villageois, puis ramassées par ceux-là et exposées en guise de témoignage de la violence exercée contre eux. A l’idée qu’il s’agit là d’un délit, Gaby Lasky, l’avocate d’Abou Rahma, réprime un fou rire : “Et c’est quoi la prochaine étape ? Faire payer aux manifestants le prix des balles qui sont tirées sur eux ?